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Barbara Forest - "Bis repetita placent" - catalog 2003/2004 - edited by Cap Calaisis - march 2014
     

Claude Cattelain,
Bis repetita placent.

Claude Cattelain aime la sobriété. Il aime dépouiller les formes, les techniques, les matériaux et les délester de tout effet.  Au modelage du sculpteur, à la ciselure du décorateur, à la taille du charpentier, Claude Cattelain a substitué la manipulation et l’utilisation de la matière brute et de l’objet ordinaire. Ses mains, sa tête, ses bras et ses pieds ont pétri, porté, planté, foulé, tenu, aspiré... Leur enchainement a structuré ses performances sur la base des vases communicants et du déplacement. A mesure que son corps se dépense, l’artiste en entrave le mouvement. Dans un lieu confidentiel ou peu accessible, sauf quand il s’agit d’une performance publique, ses actions sont toutes pensées, réalisées et cadrées en fonction de la vidéo qui les filme, en plan fixe. L’atmosphère silencieuse doit être propice à la concentration. Certaines d’entre elles sont dangereuses. Tout est pourtant calculé pour donner au caractère performatif une réelle existence et une réelle consistance. Le spectateur peut être mal à l’aise devant ses prises de risques, notamment quand, au bord d’une toiture terrasse, son dos défie le vide. Il peut aussi être admiratif devant une telle constance et une telle pugnacité. Et puis il est aussi amusé devant des performances plus légères et absurdes ou ému et bouleversé quand le corps de l’artiste se soumet à des épreuves presque inhumaines. Dans la série des Vidéos hebdomadaires, Claude Cattelain suit une consigne qu’il s’impose : aspirer des fleurs de pissenlits dans un jardin, remplir une bassine d’eau sur ses jambes jusqu’à ne plus pouvoir la porter, s’endormir devant la caméra pour se voir rêver, s’entourer le visage de scotch et ne respirer que grâce au tuba lui-même prisonnier du ruban collant…En digne héritier de Vito Acconci, Bruce Nauman ou Matthew Barney, seules les limites de son corps définissent ses actions selon un scenario qu’une simple phrase peut décrire. Elles rappellent les task mouvements des danseuses Anna Halprin ou Trisha Brown pour qui porter une chaise ou souffler au milieu d’une clairière étaient des gestes chorégraphiques aussi importants que la danse du vol d’un oiseau.  

Depuis quelques années, aux côtés de la vidéo,  le dessin est l’autre espace de ses performances. Le papier est devenu la surface qui enregistre et conserve les mouvements de son corps. Dans les dessins à combustion, il s’allonge sur une feuille de canson un peu plus grande que lui et trace dans le noir à la seule lumière d’une allumette qui lui sert de crayon les contours de sa silhouette. Malgré une certaine maîtrise de la technique, l’artiste voit peu et mal ce qu’il est en train de faire. Ses autres sens sont bien plus en éveil et ce sont ses sensations qui guident sa main. Le toucher et l’odorat orientent l’allumette l’éloignant tour à tour de la peau ou du papier pour éviter les brûlures. Plusieurs positions successives du corps sur la feuille multiplient les tracés et viennent perturber la lisibilité du dessin. Ce n’est qu’après quelques minutes que les traits deviennent des lignes colorées et que le dessin, redressé à la verticale, se révèle tel le tirage d’une photographie. Même si le geste préexiste au dessin, l’expérience ne sera traduite en une forme plastique aboutie que si les  chevauchements, les épaisseurs et les traces noires ou brunes auront acquis pour l’artiste une valeur artistique.

Exposés pour la première fois au musée des beaux-arts de Calais, les Dessins répétitifs, témoignent d’une nouvelle économie du déplacement,  réduite au pas. Le pas toujours mobile se place plutôt qu’il ne se déplace. Certains sont le prolongement d’une performance plus ancienne où l’artiste s’enfonce peu à peu dans le sable à force de marcher sur place, basculant la ligne horizontale de la marche en une ligne verticale. Ici le « sur place » a encore gagné du terrain. Par des milliers de pas, l’artiste a marqué la feuille de papier aux limites de l’usure et de l’épuisement. La poudre de charbon noire et volatile s’est déposée sur le papier suivant le mouvement du pied, soit écrasée sur la feuille, soit chassée par le talon. La surface devient poudrée, nimbée, métallisée, lumineuse ou sombre suivant ce qu’a subi la matière sous la pression du pied qui devient la nouvelle mesure du temps et de l’espace. Dans le coin de la feuille l’artiste a en effet noté des chiffres qui correspondent au nombre de pas effectués. Le caractère a priori absurde, maladroit ou rédhibitoire de la répétition n’entame pas l’intégrité du geste, au contraire et relègue la séduction et le spectaculaire vers d’autres horizons. Par la tautologie, Claude Cattelain a trouvé une équivalence entre ses gestes et le langage. La nature rigoureuse, neutre, froide, raide et rationnelle de la répétition lui permet d’évacuer tout héroïsme, tout pathos ou tout sentimentalisme. En épuisant le procédé en même temps que son souffle et son endurance, il concentre les forces en jeu. Et c’est bien parce que la performance est contraignante, pénible, fastidieuse et laborieuse et que les moyens sont épurés au maximum que la tension est maximale. Transposé dans le champ du dessin ou de la sculpture, la forme n’en apparait que plus évidente et unitaire même si elle ne se définit que de manière approximative, peu convenue et informe. Est-ce un cercle ? Est-ce un rectangle ? Les sculptures de Constantin Brancusi expriment ce même « gauchissement d’une géométrie idéale »1, une qualité décrite par Rosalind Krauss dans Passages. La comparaison avec le travail du sculpteur roumain pourrait se poursuivre, lui qui déclarait : « il y a un but en chaque chose : pour le saisir, on doit se dépasser soi-même »2. Les dessins à répétition auraient- ils  hérité de la Colonne sans fin ? La forme de ce monument  de Constantin Brancusi à la fois sophistiquée, simple, élégante et implacable telle une formule mathématique se retrouverait elle dans les dessins de Claude Cattelain où règne cette idée d’absolu et de complétude?

Barbara FOREST - Conservatrice du Musée des beaux-arts de Calais

1 Rosalind Krauss, Passages, Une histoire de la sculpture de Rodin à Smithson, Ed.Macula, p 90

2 Rosalind Krauss, PAssages, Une histoire de la sculpture de Rodin à Smithson, Ed Macula, p 89, citant Sidney Geist, Brancusi, New York, Grossman, 1967, p 178

Claude Cattelain,
Bis repetita placent.

Claude Cattelain likes the things to be understanded. He likes to strip shapes, techniques and materials of all their supperfluous effects. Gone are the sculptor's knife, the decorator's chisel and the carpenter's saw : Claude insteads manipulates and uses the raw material of the ordinary object. With his hands, head, arms and feet he has kneaded, carried, planted, crushed, held and aspirated...These carefully ordered actions have structured his performances, which are based on communicating vessels and displacement. As his body expends energy the artist obstructs its movements. In places which are confidential or almost inaccessible (except for public performances), his actions are thought out, excecuted and framed in accordance with the camera filming them - all in a static shot. The atmosphere is silent, conductive to concentration. Some of his actions are dangerous. Yet they are always calculated to give the performance real existence, real substance. Spectators may feel uncomfortable witnessing his risky stunts, for exemple when, standing on a rooftop terrace, his back defies gravity and the empty void below. But they may also admire his constancy and courage. And they will be amused by his more lighthearted, absurdist performances, then moved and shocked when the artist subjects his body to almost inhuman trials. In the Vidéos hebdomadaires series, Claude Cattelain follows his self-imposed instructions : blow out the dandelions in a garden, fill a basin on his legs with water until he can no longer carry it, fall asleep in front of the camera in ordre to watch himself dream, wrap up his face in adhesive tape and only breathe through a snorkel, itself imprisoned in adhesive ribbon... as a worthy successor to Vito Acconci, Bruce Nauman or Matthew Barney, his actions are defined only by the limits of his body, and follow a script that can be described with a simple sentence. They are reminiscent ot the task movenemts performed by dancers such as Anna Halprin or Trisha Brown, for whom carrying a chair or having a rest in the middle of a clearing were choreigraphic movements carrying the same importance as the dance of a bird's flight.

Alonside vidéo, he has added sketching to his performance baggage over the last few years. Paper has become the medium wich records and conserves the movements of his body. In the Dessins par combustion, he lies on a sheet of canson paper which is slightly larger than him and traces the outline of his body, with the only light available coming from a match, which also serves as a pencil. Although he masters the technique, the artist sees little of what he si doing. His other senses are heightenedand his hand is guided by his sensations. Touch and smell keep the match away from his skin so as to avoid burns. He succesively adopts different body positions on the paper, thus producing several oulines that gradually make the drawing less and less legible. It is only after a few minutes that the strokes become coloured lines and the drawing, when held up vertically, ressembles a photographic print. Even if the gesture exists before the drawing, for the artist the experience will become a successful form of art if the overlaps, thicknesses and black and brown strokes have taken a genuine artistic value.

Exhibited for the first time at the Calais Museum of fine arts, the Dessin Répétitifs bear testimony to a new economy of movement, reduced to footsteps. These footsteps are placed rather than displaced. Some of them are an extension of an older performance, where the artist sank deeper and deeper into the sand by walking on the spot, turning the walk from a horizontal line into a vertical one. Here the "on the spot" aspect has been taken further. With thousands of footsteps the artist has marked the sheet of paper until it is almost totally worn. Volatile black coal powder has been deposited on the paper with the movement of his feet, either crushed into the paper or dispersed by his heels. The surface has become powdery, shroud-like, metallic, luminous or dark depending on how the material reacted to the pressure of the foot, whis has become the new measure of time and space : in the corner of the sheet of paper the artist has noted the number of footsteps accomplished. The seemingly absurd, clumsy or obstructive nature of the repetition does not undermine the integrity of the movement, quite the contrary, and relegates seduction and the spectacular into the distance. Using tautology, Claude Cattelain has found an equivalence betxeen his movements and language. The rigorous, neutral, cold, stiff, rational nature of repetition removes all heroism, pathos and sentimentality. By exhausting the process at the same time as his own energy and stamina, he distils the force at work. And it is because the performance is time-consuming, arduous, fastidious and laborious and the resources stripped to the bare minimum that tension rises to the maximum. Transposed to sketching or sculpture, the form only seems more clear-cut and unitary, even though it is only approximately and shapelessly defined. Is it a circle ? Is it a rectangle ? Constantin Brancusi's sculptures express the same « distorsion of an ideal geometry »1, a quality described by Rosalind Krauss in Passages. The comparison with the Romanian sculptor could be taken further : it was he who declared that « there is an aim to each thing : to get it, you have to surpass yourself »2. Are the Dessins répétitifs heirs to the Endless column ? Is this form of the monument by Constantin Brancusi, as sophisticated, simple, elegant and relentless as a mathematical problem, to be found in the sketches by Claude Cattelain with their overwhelming idea of the absolute and the complete ?